CRITIQUES
Couple ouvert à deux battants
de Dario Fo et Francisca Rame
Adaptation française de Valeria Tasca
A l'Aire Falguière, Georges About, présente trois textes de Dario Fo et Francisca Rame
« Couple ouvert à deux battants » « Prologue de Médée » « Médée »
Un couple de comédiens, Dario FO et Francisca Rame, joue l'histoire de l'ingénieur Mambretti, adepte de la liberté sexuelle dans le couple et de sa femme Antonia spectatrice impuissante et victime du libertinage débridé de son mari.
La mise en scène de Georges About tire le meilleur parti de la petite scène de l'Aire Falguière pour multiplier les espaces et superposer les époques de l'intrigue : un écran de télévision dans lequel éclatent les scènes de ménage du couple à ses débuts, occupe une partie de l'appartement actuel d'Antonia, où les deux personnages, les yeux rivés sur l'écran, sont spectateurs de leur histoire passée. Les deux espaces sont eux-mêmes mis en perspective par un « hors scène », dans lequel débordent les comédiens pour commenter l'histoire du couple ou pour s'interpeller en tant que personne. Espace et temps se fragmentent pour constituer les facettes d'un même prisme . Ainsi, le spectateur est invité à rentrer dans les différents moments de l'enfer conjugal d'Antonia, et, de la complexité des ces emboitements, nait une forme de suspense psychologique dû à l'évolution des rapports entre les deux personnages. Comment Antonia pourra-t-elle survivre, qu'adviendra-t-il du couple, quelles transformations subira-t-il, où l'évolution de chacun les mènera-t-il ? Les personnages gagnent en densité au fil de l'action dont les contours vaudevillesques s'estompent.. La réflexion sur les rapports homme-femme et la liberté sexuelle sous-tendent l'écriture de la pièce, mais dépassent grâce au parti pris de la mise en scène et au jeu des comédiens le contexte des revendications féministes des années 70.
L'interprétation fluide des comédiens passant avec aisance d'étapes en étapes suivant un cheminement opposé, entre rires et pleurs, inquiétude et détachement donne à la pièce une tonalité qui résulte d'un compromis heureux entre réalisme psychologique et discours militant.
Anna Turolla, Antonia, tout en vivacité et légèreté, se débat autant avec son mari qu' avec elle-même, frôle la tragédie , pour accéder à une liberté assumée et revendiquée. Christian Baltauss, humanise l'ingénieur Mambretti en le traquant dans ses contradictions, en défaisant ses certitudes, et en mettant à nu sa détresse. Au fur et à mesure qu'Antonia/Anne Turolla s'affirme, Mambretti/Christian Baltauss laisse échapper son dépit puis sa détresse dans ses silences et ses regards. Les deux comédiens se guettent, se manquent, se bousculent, se perdent dans un rythme qui soutient l'attention du spectateur.
Terminer le spectacle par le « Prologue de Médée » et « Médée » renforce la dimension intemporelle du propos. Qu'y a -t-il de commun entre Médée, allant jusqu'à l'infanticide pour ne pas subir sa condition de femme délaissée et Antonia, qui pour exister, raye de sa vie, son mari ?
Catherine DUCATEZ.